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La cigogne noire revient en France, une énigme pour les scientifiques
LE MONDE | 22.09.2012 à 10h59 • Mis à jour le 24.09.2012 à 11h38 Par Catherine Vincent
La cigogne noire est un précieux indicateur de la bonne santé des milieux.
Chaque année en cette saison, les ornithologues campés sur le site d’Eyne (Pyrénées-Orientales), entre Prades et Saillagouse, voient passer des milliers d’oiseaux en quête des ascendants thermiques qui permettront leur migration vers le sud. Des rapaces, surtout. Mais aussi des cigognes. Et, parfois, comme il y a quelques jours, des cigognes noires. Une espèce beaucoup plus rare en France que sa cousine blanche, mais qui intéresse tout autant les naturalistes, si ce n’est plus !
Car la cigogne noire est un précieux indicateur de la bonne santé des milieux. De la qualité des forêts, où elle installe son nid. Mais aussi des zones humides (petits ruisseaux, vasières, marais), où elle recherche sa nourriture.
Du 21 au 23 septembre, à Châlons-en-Champagne (Marne), un colloque international, organisé par l’Office national des forêts (ONF) et la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), lui est entièrement consacré. Un événement quadriennal auquel sont pour la première fois associés des pays d’Afrique, terre d’élection hivernale de la cigogne noire.
SOLITAIRE ET SAUVAGE
Comme la cigogne blanche, Ciconia nigra emprunte pour s’y rendre le détroit de Gibraltar, ou celui du Bosphore quand elle part de l’est de l’Europe. Contrairement à l’oiseau qui orne les cheminées alsaciennes, la cigogne noire, en revanche, ne choisit jamais la proximité de l’homme pour nicher. Solitaire et sauvage, cette espèce forestière disparut ainsi en toute discrétion du paysage français durant le XIXe siècle. Pour s’y réinstaller, tout aussi subrepticement, au milieu des années 1970.
Aujourd’hui, on estime de 30 à 60 le nombre de couples nicheurs qui reviennent chaque année dans le centre et l’est de la France. Inscrite sur la liste des oiseaux protégés, l’espèce bénéficie d’une surveillance accrue durant les périodes de reproduction. En juillet, deux jeunes cigognes noires ont ainsi été observées en forêt de Chaux, dans le Jura. C’était la première fois depuis 1977. Et ce regain d’intérêt de la cigogne noire pour nos contrées ne concerne pas que la France.
Les conditions de vie en Europe occidentale lui sont-elles plus favorables que naguère ? Se dégradent-elles en Europe orientale et méridionale, où niche l’essentiel des effectifs de l’espèce (entre 6 500 et 19 000 couples, cette très large fourchette étant due au manque de précision sur les populations de Russie et de Turquie) ?
"Alors que ses populations sont stables ou en augmentation dans les pays de l’ouest, elles ont plutôt tendance à décliner dans ceux de l’est ", note en tout cas Nicolas Gendre, de la LPO. Raison de plus pour l’étudier de près et mettre les connaissances en commun. Mais comment étudier l’écologie de cet oiseau migrateur sans tenir compte du continent africain, où il passe la moitié de l’année ?
UN PROGRAMME EUROPÉEN
Au milieu des années 1990, les premiers à s’intéresser à ses zones d’hivernage sont des chercheurs tchèques. Sous leur impulsion s’ébauche un programme européen, grâce auquel 43 cigognes sont équipées de balises Argos entre 1996 et 2000.
Ce premier suivi satellitaire permet de préciser les deux voies de migration – l’une vers l’Afrique de l’Est via le Bosphore, l’autre vers l’Afrique de l’Ouest via Gibraltar. Il conforte aussi la collaboration internationale autour de cette "espèce parapluie", qui n’a depuis lors cessé de croître : organisée pour la première fois en 1992, la conférence qui se tient actuellement en France réunit les représentants de quinze nations.
Parmi eux, trois pays africains : la Mauritanie, le Burkina Faso et le Maroc. Trois pays que l’on sait essentiels dans le parcours migratoire de l’élégant volatile... sans en savoir beaucoup plus. Comment traverse-t-il le Sahara ? Où, quand, pourquoi s’arrête-t-il ? Ses sites d’hivernage sont-ils affectés par le changement climatique ? Par la cohabitation avec les villageois ?
SOLIDARITÉ ENTRE LES DEUX CONTINENTS
"Le suivi satellitaire a fourni quelques milliers de localisations en Afrique de l’Ouest. Mais ces données, partielles, doivent être approfondies et valorisées sur place et conduire à un état des lieux", constate Paul Brossault, coordinateur du réseau national des cigognes noires à l’ONF.
Car l’avenir de l’espèce, comme celui des écosystèmes qui l’hébergent, se joue autant sur les oueds africains que sur nos ruisseaux. Et sa protection nécessite la mise en place d’une vraie solidarité, scientifique et financière, entre les deux continents. Présenté ce week-end, le programme le plus abouti dans ce domaine est actuellement... en cours de montage.
Conduit pour la France par la région Centre, pour la Mauritanie par la région du Gorgol, il prévoit de suivre dans cette zone, située au sud du pays, le comportement des cigognes de fin septembre à fin février.
"Certaines cigognes restent là tout l’hiver. D’autres l’utilisent comme zone de reposoir et d’engraissement avant de poursuivre leur migration", explique Abdallahi Diarra, professeur des universités à Nouakchott. Chargé de mettre en oeuvre le suivi à venir, il insiste sur la nécessité de "sensibiliser les communautés locales à l’intérêt que représente cet oiseau". Un impératif d’autant plus urgent que la cigogne noire, dans le nord du Gorgol, est assimilée à l’outarde, "très prisée des chasseurs".
Catherine Vincent
A Paimbœuf, le premier festival français de l’oiseau
En cette année de son centenaire, la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) innove : du 21 au 23 septembre, elle organise à Paimbœuf (Loire-Atlantique) le premier festival de l’oiseau. Conférences, expositions, rencontres, animations et sorties dans la nature sont au programme de cette Birdfair. La France rejoint ainsi le Royaume-Uni, l’Italie, le Brésil ou Israël, où de tels rassemblements naturalistes autour des oiseaux ont lieu régulièrement. La British Birdwatching Birdfair, qui se tient chaque année en août depuis 1989 à Egleton, en Angleterre, est ainsi considérée comme l’un des principaux événements ornithologiques mondiaux. Pour son galop d’essai, la LPO entend donner une"forte orientation écologique et durable au déroulement des différentes activités de la manifestation".
Pour plus d’informations, on peut consulter sur Internet le site www.birdfair.fr.
Mots-clés : Châlons-en-Champagne, Champagne-Ardenne, France, Colloque international, Programme interrégional, Communications, Afrique, Article de presse